Résumé:
Avant-propos De nombreuses études en sciences humaines et sociales ont été consacrées aux espaces ségrégués français, qu’on appelle « banlieues », « quartiers » ou encore « cités », notamment aux particularités linguistiques et culturelles qui leur sont propres ou qu’on leur attribue, à travers en particulier les nombreux textes de rap français à succès ou la littérature dite « de banlieue ». Ces manifestations culturelles, produites dans un français non standard, ont reçu un accueil favorable aussi bien en France qu’à l’international, état de fait qui contraste avec une vision médiatique plutôt mitigée dans laquelle ces espaces et les populations qui y vivent n’apparaissent guère qu’au travers de problèmes économiques et sociaux tels que les « difficultés scolaires », le « chômage », l’ « immigration », la « radicalisation », la « violence »…(voir la contribution de Nicolas Kühl) – les exceptions éventuelles étant la mise en valeur, cependant ambiguë, de certaines réussites, spécialement par le sport, comme le montrent ici même les articles de Yesaya David ou de Christina Horvath. Le titre de ce numéro : Les banlieues vues d’ailleurs, vient de ce que nous l’avons souhaité interdisciplinaire, composé de contributions émanant de chercheurs confirmés comme de jeunes chercheurs, dont le lieu de travail est basé dans divers continents – en l’occurrence : en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique. Les problématiques abordées concernent aussi bien l’analyse de parcours réels que celle de romans fondés sur des observations sociologiques, l’analyse de discours spontanés aussi bien que celle de discours médiatiques, celle de discours filmiques ou de textes musicaux, afin d’en dégager les représentations et leur incidence en retour sur ceux à qui ils s’adressent ou qui les reçoivent. Ces différentes contributions n’étudient pas le même objet, ne relèvent pas forcément de la même discipline et donc ne se fixent pas le même objectif ni par conséquent n’adoptent la même démarche, et pourtant, dans leur diversité, toutes donnent le sentiment d’aboutir au même résultat, de converger vers la même conclusion… Azouz Begag (CNRS, France), qui a observé les banlieues aussi bien de l’intérieur de la France que l’extérieur, inaugure le volume avec un article sur les problèmes identitaires et sociaux qui peuvent conduire de jeunes Français issus d’espaces ségrégués au terrorisme international. Analyse des discours et des représentations qu’ils véhiculent Ali Bouzekri (Algérie) analyse les discours portant sur les banlieues françaises dans des forums algériens et évoque les représentations sociales négatives des Algériens interrogés sur ces espaces, notamment du fait d’une association entre les habitants des « cités » et le terrorisme. Nicolas Kühl (France) propose une analyse terminologique visant à déconstruire quelques notions désignant les banlieues françaises et leurs habitants. Il met en lumière un lien étroit entre les représentations entourant ces espaces urbains et une certaine conception sociétale. David Yesaya (Canada) aborde la question de la représentation médiatique des jeunes habitants d’origine africaine des banlieues populaires. L’auteur met en avant trois types de stéréotypes généralement présentés par les médias : le premier est la figure de l’oppresseur, le deuxième est celui de l’opprimé et le troisième celui du prétendu modèle de réussite en provenance du « ghetto ». Wajih Guehria (Algérie) problématise le parler dit de « banlieue » dans le cinéma français, lequel procède à une construction largement mythique en faisant s’exprimer ses personnages sur le modèle des rappeurs, relayant ainsi les représentations médiatiques dominantes d’une banlieue violente ; l’auteur évalue les retombées sociolinguistiques de ce parler sur les populations concernées. Morad Bkhait (Canada) aborde la banlieue via les textes du groupe de rap P.N.L. dont les représentations et les valeurs affichées rayonnent sur les banlieues françaises en même temps que le succès de ce groupe montre que ses discours rencontrent – sinon reflètent – le ressenti profond de ces populations. Analyse de romans Chiraz Hakim et Dalida Temim (Algérie) s’intéressent aux caractéristiques et aux enjeux du français contemporain des cités dans le roman Boomkœur de Rachid Djaidani (1999) et ce dans le but de montrer comment et pourquoi ce parler participe à la construction identitaire des jeunes issus de l’immigration maghrébine. Christina Horvath (Grande-Bretagne) examine quatre romans publiés entre 2006 et 2013 des auteurs Mohamed Razane, Rachid Djaïdani, Jean-Eric Boulin et Rachid Santaki, pour y explorer la figure du boxeur et le double usage de la boxe, à la fois comme métaphore et comme principe esthétique. Bernard Bienvenu Nankeu (Cameroun) analyse le roman sociologique de Sami Tchak Place des fêtes dans lequel la banlieue se décline en termes d’environnement marginalisé, dystopique où le sexe se révèle être la clé de l’existence et de la réussite sociale. Karima Arrous (Algérie) se fixe pour objectif d’étudier l’évolution de la représentation de la femme dans la littérature urbaine française. L’auteur analyse particulièrement la marginalité qui caractérise les personnages féminins et donne à voir de quelle manière ils ripostent face à cette marginalité. Compte-rendu Le numéro est clôt par Imene Meriem Oumessad (France) qui propose aux lecteurs de la revue RADSL le compte-rendu de l’ouvrage de Philippe Blanchet (2016), Discriminations : Combattre la glottophobie. Wajih GUEHRIA Paris, le 15/08/2018